Entretien avec Stefanu Venturini du Domaine Mavela, un chef d’entreprise passioné.
La distillerie Mavela a été créée par votre père Jean-Claude, racontez-nous son histoire ?
Grâce à une topographie qui s’y prête, la plaine orientale a toujours été un lieu de production agricole, plus particulièrement pour les fruits. Ma famille possédait des terres plantées de pruniers, mais dans les années 70, l’agriculture décline, et les fruits sont bradés sur les marchés ou envoyés sur le continent. Après cette période de recul, et l’apparition de différentes normes comme le calibrage, des grandes quantités de prunes restent invendues et périssent. Porté par une volonté commune de se réapproprié les pans de l’économie insulaire, mon père a fait partie de ceux qui ont cherché un moyen pour valoriser les productions locales. Il a alors eu l’idée de distiller ses prunes pour en faire de l’eau de vie. En 1990, avant de créer le domaine, mon père parcourait les villages avec un alambic itinérant, Mavela était né !
Les eaux de vie de prune et de raisin rencontrent un tel engouement, qu’en 2000, elles sont même primées au salon de l’agriculture à Paris ou elles reçoivent, la médaille d’or. Heureux de cette reconnaissance, mon père décide de distiller d’autres fruits emblématiques de la région, cédrat, myrte, châtaigne…La deuxième décennie d’existence du domaine va être marqué par une idée ou plutôt une rencontre d’idées. Mon père et les propriétaires de la Brasserie Pietra, qui produit la bière corse, se rendent vite compte qu’en associant leur savoir-faire, ils disposent de tous les outils pour créer un whisky Corse avec sa propre typicité.
L’idée était aussi, d’associer à nos liqueurs et eaux de vie traditionnelles, un alcool atypique, presque inattendu en Corse, un alcool qui nous passionne. Le whisky est connu et dégusté dans le monde entier, et on voulait essayer de se l’approprier en offrant quelque chose de nouveau. Durant les premières années, nous avons beaucoup apprit, nous avons eu notre lot d’échecs, de déceptions, mais aussi de réussites, notre Whisky P&M a été de nombreuses fois primé. C’est d’ailleurs cet ensemble de choses qui nous permet aujourd’hui de proposer un produit élaboré, différent, et surtout possédant sa propre identité. Notre travail, notre persévérance et notre passion ont été récompensé, puisque en 2014, la prestigieuse bible mondiale du Whisky de Jim Murray, nous classe à la 5e place mondiale pour les whisky de moins de 12 ans. Au-delà de la note, le commentaire nous a particulièrement conforté dans la vision que nous avons de notre Whisky. Ça donne envie de poursuivre cette belle aventure démarrée par mon père.
Succéder à votre père, était-il une évidence ?
Oui et non… Non parce que nos parents nous ont toujours voulu nous faire voyager, c’était le moyen de nous ouvrir les yeux sur le monde extérieur et aussi de nous forger notre idée de ce que nous voulions faire de notre vie. Cela nous a permis de découvrir des concepts qui pour certains étaient adaptable à notre île, c’est le cas du whisky. Ils souhaitaient nous donner les moyens de faire ce qui nous passionne, le oui a donc vite pris le dessus, mais finalement je pense que j’ai toujours su que mon avenir était au domaine Mavela.
Mon frère Lisandru et moi, mais aussi mon cousin Nicolas, avons passé notre enfance au domaine. Nous y avons grandi, nous y avons tout fait, réceptionner les fruits, les préparer pour la distillation, charger les camions, vendre nos alcools… Toutes ces tâches, mon père les a voulues, elles nous ont permis de décider de notre avenir en parfaite connaissance des bons et moins bons côtés du métier.
Aujourd’hui je ne saurai pas dire si j’ai réellement succéder à mon père…Je ne crois pas qu’on puisse succéder au fondateur d’une entreprise… Mon père a créé le domaine de toutes pièces, alors effectivement, je lui ai succéder de par ma fonction au sein du domaine, mais j’ai simplement essayé d’amener ma pierre à l’édifice. J’ai souhaité développer l’activité en apportant ma vision, peut-être plus actuelle, plus contemporaine, pour faire évoluer la distillerie avec son temps, et lui donner un essor international ou d’ailleurs je m’espère, mon frère pourra lui aussi apporté sa touche, tout en préservant l’âme de ce Domaine artisanal, mais surtout familial.
Nous souhaitons être porteur d’une image de qualité pour la Corse, pour rendre hommage à cette terre qui nous a tant donnée.
Après de longs travaux, le domaine Mavela a ré-ouvert ses portes le 1er mai 2016, quels sont les changements apportés ? Que proposez-vous de nouveau ?
Nous avons complètement réaménagé les espaces. Nous avions un boutique d’une surface très importante qui proposait un grand nombre de produit insulaire de qualité. Aujourd’hui nous avons décidé de recentré le domaine sur notre activité principale, la distillerie. Nous avons du coup accrue notre capacité de stockage en fut et nous avons imaginé un parcours pédagogique. Cette immersion guidée a pour but d’offrir à nos visiteurs, la possibilité de suivre étape par étape la fabrication de nos alcools, mais aussi de partager un peu de notre métier et d’entamer un nouveau processus, ou l’agritourisme aura une place à part entière. Le domaine s’est aussi dotée d’une très belle pièce de dégustation, c’est un endroit de rencontre et d’échange. Bien sûr nous avons conservé un espace boutique, nous y présentons nos productions, mais aussi une sélection de produits corses connus ou moins connus, mais offrant tous, des caractéristiques uniques de par leur goût ou leur mode de fabrication.
Ça fait plaisir de voir un tel engouement et une telle passion pour cet alcool Partager
Plusieurs distilleries en France proposent un Whisky, certains sont atypiques, comme le vôtre, quel regard portez-vous sur ce paysage ?
Malgré que la France se soit ouverte tardivement à la production du whisky, le paysage des distilleries françaises est très intéressant. Il offre une multitude de productions atypiques avec pour chacune un savoir-faire et un produit au goût unique.
Quand nous nous sommes lancés dans cette aventure, seul les bretons proposaient un whisky, et nous étions la 3e distillerie française à vouloir en produire un. Aujourd’hui la France compte 40 distilleries. Ça fait plaisir de voir un tel engouement et une telle passion pour cet alcool, et grâce à cette offre assez large, les consommateurs dispose d’une belle diversité gustative.
D’ailleurs, pour répondre à une demande toujours croissante, nous venons de créer un syndicat du whisky français.
La distillerie a été de nombreuses fois primée et récompensée, que peut-on vous souhaitez ? Avez-vous des projets ?
Notre but est de continuer à proposer des alcools d’exception à partir de produits insulaires rigoureusement sélectionnés selon des critères de goût, mais aussi par la qualité de leur production. Nous souhaitons forger de nouveau partenariat, comme celui avec le chocolatier insulaire Grimaldi qui nous a amené à produire une liqueur de chocolat « Esprit de Chocolat ». Les projets sont tellement nombreux qu’il en est même difficile d’en parler. A côté du domaine Mavela, nous sommes entrain de créer un parc arboricole ou nous plantons les différentes variétés que nous utilisons pour nos alcools. Ce projet rejoint pleinement notre envie de développer l’agritourisme, ainsi que le côté pédagogique que voulons apporter à notre activité, par exemple, peu de gens savent que le whisky est produit à partir de la bière. Nous essayons aussi de mettre en avant d’autres secteurs d’activités. Nous avons fait décoré le domaine, par le peintre sculpteur Marcel Lépidi, et actuellement, il travaille des blocs de béton issus de la rénovation, et ces sculptures seront exposées dans le nouveau parc.
Au-delà de notre métier qui nous passionne, le Domaine Mavela est aussi une aventure humaine, alors souhaitez nous, de faire encore, de nombreuses et belles rencontres !